Si la douceur de fin d’après midi laissait présager le meilleur pour la journée à venir, la nuit se charge de nous rappeler que nous sommes dans les Rocheuses à près de 2000m d’altitude : -3 ! C’est le tarif pour avoir osé camper plus près des cieux. Qu’importe, le ciel est parfaitement clair et le soleil brille lorsque nous déroulons les fermetures éclairs de nos tentes.La journée commence bien.
Effectivement cette journée entre dans le cercle très fermé des étapes magiques du voyage. Une de celles qui vous font oublier tout le reste et vous rappellent pourquoi vous êtes partis. Les merveilles de la nature s’enchaînent, toutes plus majestueuses et époustouflantes les une que les autres. Lorsqu’on pense avoir atteint le summum du grandiose, dix kilomètres plus loin un paysage vient placer la barre encore plus haute. Je dois même le reconnaître, l’ouest Canadien gagne face à ses voisins du sud. Pas par KO certes, par décision partagée des juges, mais tout de même.
À tout ceux qui souhaitent que nous rencontrions des ours, j’ai l’honneur de vous annoncer que c’est fait ! Alors que nous approchons de notre destination du jour, le nez dans le guidon, fatigués par cette longue et intense étape, nous apercevons un ours brun dans les buissons sur le bord de la route. Il est là debout, trop concentré à manger pour prêter la moindre attention à notre groupe. Au risque de vous décevoir, nous n’avons pas fait de « Selfie » avec l’animal… La prochaine fois, promis !
Seul petit bémol à cette étape : les moustiques en montant le camp. Dès que la température dépasse les quinze degrés, vous pouvez être sûr que les vampires vous attendent de pied ferme lorsque le soleil perd de son intensité. Cela ne nous empêche pourtant pas de trinquer à cette étape mémorable en compagnie de deux touristes allemandes qui campaient non loin de nous.
La différence d’altitude par rapport à la nuit précédente se fait ressentir. Pas de température négative cette fois, mais par conséquent : des moustiques voraces dès le matin… On ne peut pas tout avoir.
Ce jour qui débute, nous le redoutions depuis un moment. C’est une journée d’ascension qui nous fait passer le col de Sunwapta à 2000m, limite entre le parc national de Banff et le parc national de Jasper. Il s’agit de l’un des cols les plus difficiles depuis le début du voyage, de part la forte inclinaison jusqu’au sommet. Sur les 40km que nous avons à parcourir, vingt sont en montée.
Comme bien souvent lorsque nous attaquons une étape difficile, les éléments viennent pimenter l’expérience. Au dessus de nous le ciel est incertain: nuages sombres et rayons de soleil se partagent l’affiche. Aujourd’hui encore les dieux du vélo ne semblent pas fixés sur notre sort. Si l’on rajoute à ce décor les géants de roches qui nous entourent, le tableau devient une véritable fable homérique et nous pauvres mortels allons défier l’Olympe !
Personnellement, j’ai appris à apprécier l’ascension de cols à travers ce voyage. Le côté allégorique de l’exercice me plait : un mur se dresse devant nous et humblement, lentement, presque à la manière d’un pénitent, nous devons le passer. Et quel sentiment d’accomplissement lorsque le sommet est atteint. Sans parler de la descente qui s’en suit. À ce propos, la veille lors d’une belle descente, le record de vitesse du voyage a été établi par Benoit : 80km/h.
Comme évoqué à l’instant, lentement mais sûrement nous parvenons à vaincre le géant. Un géant de glace puisque le sommet est recouvert d’un immense glacier millénaire. Nous entrons par la même occasion dans le parc de Jasper, 110km nous séparent désormais de notre destination finale dans l’ouest nord américain.
Il est de ces voyages qui ne s’arrêtent jamais tout-à-fait, leur rumeur nous porte indéfiniment, les images peuvent vieillir, mais elles ne s’effacent jamais, et celles que tu nous donnes à voir sont de celles là. Il ne s’agit pas de descendre d’un bus et de mitrailler tout ce qui se présente devant l’objectif. Il s’agit de gagner chaque image, de se l’approprier lentement, un coup de pédale, un pixel, et combien il en faut pour faire une photo, mais au bout de la route, quand la selle peut enfin respirer et que ton cul n’y tient plus, alors l’image est là, fulgurante, étourdissante, d’une rumeur qui ne peut pas s’éteindre, comme un tatouage planté dans le crâne, dessiné au couteau sur la paroi, avec les dents, avec les ongles, le temps peut bien venir s’y cogner, c’est soudé jusqu’à l’os, c’est coulé dans le sang qui bat en torrent, c’est la vie qui aboie tout au bout de la nuit, de l’image qui danse sur les heures creuses, les journées grises et le ciel bas, pour nous dire qu’au-dessus, juste un peu plus haut, elle est là, à tutoyer les étoiles, à danser en plein ciel, parce que là, vous êtes absolument, merveilleusement vivants, au-delà de tous les mots. Cet au-delà des mots, il est là, dans ces images, et putain qu’elles sont belles, et comme elles donnent envie de se faire la belle, d’enfourcher un vélo, comme un cheval, comme un pionnier, et de suivre vos traces. Oui, il est de ces voyages dont on ne revient jamais tout-à-fait. Bisous à vous 4.
Effectivement c’est bien dit. On n’en revient jamais tout à fait.