Et puis la route toujours, sous un soleil de plomb,
Au loin dansent des mirages sur l’asphalte qui fond,
Dans cet air immobile, saturé de chaleur,
Le corps est un outil qui creuse dans l’épaisseur
De ce mur invisible pour avancer encore,
Du sel au coin des lèvres et l’envie du Grand Nord.
Dans cet Arizona où des cactus géants
Silhouettes de chandeliers rêvent peut-être d’océans,
La terre est un lit rouge, c’est une tablette d’argile
Où repose la mémoire d’éternités fragiles
Quand le temps défait l’oeuvre tellement périssable
Du miracle immobile d’apothéoses de sable.
Dans ce pays étrange, fatale beauté du diable,
Tout semble suspendu, provisoire et friable,
La vie n’est pas un droit, elle n’est qu’une hypothèse,
le pari du vivant au coeur de cette fournaise
Que traversent quelques hommes, insolents pénitents
Bravant dans ce défi le sourire de Satan.
La route n’est plus qu’un trait et le geste semble las,
Le temps sans impatience, l’horizon ne bouge pas,
On maudit Kayenta, trop blanche sous la poussière,
Jusqu’à Tuba City, dortoir ou cimetière,
Et puis Flagstaff enfin, comme on sort de l’enfer
Pour voir au Grand Canyon les viscères de la terre.
Dans cette nature à vif où des forces obscures
Accouchent la matière brute d’un millefeuille de sels purs,
Il est de lentes terres rouges dont le fleuve incessant
Evide le sédiment en un canyon si grand
Que ses berges s’en ignorent, tout à flatter l’abyme
Que survolent des condors dans leur lenteur sublime.